Une protestation en chanson
Strange fruit est l'une des première chanson protestataire contre la ségrégation, interprétée pour la première fois en 1939 par Billie Holiday, c'était d'abord un poème de Lewis Allen publié en 1937 et qui fut adapté en chanson. Abel Meeropol, plus connu sous le pseudonyme de Lewis Allen, est un enseignant d'origine russe et membre du parti communiste américain, il fut profondément choqué par les récits de lynchage, et également les photos de Thomas Shipp et d'Abram Smith (https://fr.wikipedia.org/wiki/Lynchage_de_Thomas_Shipp_et_d%27Abram_Smith) qui lui inspira ce poème.
Billie Holiday, de son vrai nom Eleanora Fagan , est, avec Ella Fitzgerald, Nina Simone et Sarah Vaughan une des principales représentante du jazz vocal, elle naît le 7 avril 1915 et décède le 17 juillet 1959. Déjà célèbre aux Etats-unis, la chanson "Strange Fruit" la propulse dans une carrière internationale.
Cette chanson fait référence, de manière plus ou moins implicite, aux lynchages dans le sud (lien articles lynchage), le terme de fruit désigne par ailleurs le cadavre des noirs pendus aux arbres. Le père de la chanteuse, Clarence Holiday, est mort en victime de la ségrégation ,il ne fut pas lynché mais refusé dans plusieurs hôpitaux et succomba donc à sa pneumonie.
Paroles (traduction):
Southern trees bear strange fruit
Les arbres du Sud portent un fruit étrange
Blood on the leaves and blood on the root
Du sang sur leurs feuilles et du sang sur leurs racines
Black bodies swinging in the southern breeze
Des corps noirs qui se balancent dans la brise du Sud
Strange fruit hanging from poplar trees
Un fruit étrange suspendu aux peupliers
Pastoral scene of the gallant South
Scène pastorale du vaillant Sud
The bulging eyes and the twisted mouth
Les yeux révulsés et la bouche déformée
Scent of magnolia sweet and fresh
Le parfum des magnolias doux et printanier
Then the sudden smell of burning flesh
Puis l'odeur soudaine de la chair qui brûle
Here is a fruit for the crows to pluck
Voici un fruit que les corbeaux picorent
For the rain to gather, for the wind to suck
Que la pluie fait pousser, que le vent assèche
For the sun to rot, for the tree to drop
Que le soleil fait mûrir, que l'arbre fait tomber
Here is a strange and bitter crop !
Voici une bien étrange et amère récolte !
(lien chanson Billie Holiday)
Analyse:
Le poète a sciemment marqué de forts contrastes dans son texte, de manière à ce que la réalité soit plus frappante. On remarque une opposition entre le beau et l'agréable et le laid et l'insoutenable, on peut d'ailleurs former deux champs lexicaus, voici un relevé:
Beau/agréable Laid/insoutenable
Southern breeze, pastoral scene,gallant South, scent of magnolia, sweet and fresh Blood on the leaves, bodies swinging, bulging eyes, twisted mouth, burning flesh
En lisant ce poème, l'auteur veut nous propulser au milieu d'un paysage champêtre, où les pétales qui volent dégagent une agréable senteur, puis nous découvront horrifiés une scène macabre d'un homme pendu à un arbre et l'odeur devient vite insoutenable. Certains passages marquent cela "le parfum des magnolias, doux et printannier, puis l'odeur soudaine de la chair qui brûle" on passe du parfum à l'odeur ce qui paraît tout de suite moins doux et agréable, le magnolia est peut-être une reférence au Mississippi ségrégationniste, surnommé "The Magnolia state". On remarque également qu'il est fait reférence au "vaillant" sud, ce qui était sa réputation en ce temps là, mais c'est ici utilisé ironiquement pour montrer la terrible vérité du sud.
La version anglaise comprend des assonances et alitérations:
-des assonances: rot/drop ; pluck/suck
-des alitérations en f: flesh/fresh/fruit/for x 5
Tout cela contribue à créer une atmosphère pesante, en particulier les consonnes plosives, ou occlusives en français qui incluent une occlusion pour les prononcer, c'est-à-dire de stopper complètement sa respiration puis, de la relâcher soudainement, peut-être pour exprimer l'étouffement provoqué par la pendaison mais ceci ne reste qu'une hypothèse. La chanson exprime bien l'atmosphère moite
De plus, quand elle était interprétée par la chanteuse, "Strange Fruit" était jouée en dernier pour marquer le public et Billie Holiday, la chantait extrêmement lentement de manière à peser chaque mot sur le public, d'après ses témoignages et notamment sa biographie,intitulée Lady sings the blues, la chanteuse l'interprétait en dernier car c'était également très dur psychologiquement pour elle.
Une protest song révolutionnaire à l'impact incroyable
Nous sommes à la fin des années 30, le Café Society vient d'ouvrir ses portes à New York, il se revendique le premier night club des US où les noirs et les blancs peuvent se mélanger sans souci. Les penseurs de gauche et amoureux de jazz s'y rencontre et Billie Holiday règne sur ce petit monde. La chanteuse donne au texte une force et une ampleur inégalée, une interprétation posée au rythme lent qui dévoile la scène affreuse de lynchage et du corps sans vie d'un innocent se balançant dans le vent.
Les dernières notes sont suivies d'un silence pesant, le public ne sait pas comment réagir à ce déchaînement d'émotions emporté par l'interprétation de Billie. Comment réagir? Le public est tiraillé entre le silence solennel pour commémorer ces terribles évènements ou un tonnerre d'applaudissements pour saluer le talent de l'interprète.
Strange Fruit est et restera une chanson de révolte qui a marquée le monde, Le Time Magazine la désigne d'ailleurs comme la plus grande chanson du Xxème siècle en 1999.
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